Si la médiation familiale s’adresse en majorité à des couples en crise, elle peut aussi s’adresser à tous les membres d’une même famille : frères et sœurs, parents qui ont des problèmes de communication avec leurs enfants, grands-parents…
Martine N’Guyen Van Dat et Chantal Kérandel sont médiatrices familiales à Maison du couple et de la famille (MCF) à Brest. Elles répondent à Infoparent29
Infoparent29 : A quel moment les parents peuvent-ils vous solliciter pour commencer une médiation familiale ?
Les médiatrices de la MCF : Les parents peuvent nous solliciter à tout moment, s’ils souhaitent s’engager dans ce processus. Il arrive fréquemment que ce soit un seul membre du couple qui désire faire cette démarche. Lorsque nous avons cette personne au téléphone nous pouvons échanger, sur comment annoncer à l’autre la demande de rendez-vous et quels arguments utiliser. L’idéal c’est que les membres du couple viennent ensemble pour le premier entretien d’information afin d’entendre au même moment les explications et participer à l’échange ; mais nous nous adaptons aux demandes et recevons un seul membre si la demande est celle-ci.
Toutefois, cette impossibilité, temporaire, de venir à deux nous donne aussi l’indication que le couple n’est pas forcément dans la même temporalité au sujet de la séparation. L’un a déjà décidé de se séparer, quant à l’autre il n’a pas encore fait ce chemin. Il a encore besoin de temps pour la réaliser et la parler.
IP 29 : Y a-t-il des périodes ou des événements où cette démarche a particulièrement intérêt à être engagée ?
La MCF : Il est difficile de dire quel est le meilleur moment pour cette démarche. Chaque couple a son propre moment. L’idéal serait avant que le conflit ne devienne trop aigu, au point de ne plus supporter la vue de l’autre et que les enfants soient pris en otage dans cette « haine ». En tout cas il faut que le couple soit prêt à s’engager.
Certains couples viennent dès que l’annonce de la séparation est nommée, et ont compris intuitivement que la présence d’un tiers facilitera les prises de décision ou pour prévenir le conflit. D’autres arrivent après quelques années de séparation, car le conflit persistant crée de la souffrance chez les enfants.
Un conflit persistant empêche aussi parfois de refaire couple ou alors le nouveau couple se retrouve lui aussi en péril. Il est arrivé que le nouveau ou nouvelle conjoint(e) propose une médiation, pour l’ex couple de sa compagne ou compagnon. Toute la question de la « vie familiale rêvée et perdue », n’est plus d’actualité, puisqu’il y a une nouvelle histoire qui se construit. Chacun accepte de revisiter certains événements de son histoire antérieure et enfin peut nommer des rancœurs non digérées.
Ou alors sans qu’il y ait nouveau couple, les symptômes de mal être, des comportements difficiles des enfants ou une remise en question du système de garde par les enfants, amènent des ex conjoints à faire une médiation. Dans l’intérêt de ceux-ci, ils acceptent d’échanger sur leurs difficultés à gérer ce qui arrive.
Naturellement, ils reviennent sur leur vie commune et là ils peuvent se dire ce qui n’a jamais pu être abordé. Le temps a apaisé la colère, la souffrance et ils se retrouvent dans leur coparentalité, sans les parasites de leurs blessures. Nous remarquons qu’avant cette démarche nombre de parents ont fait appel à des pédopsychiatres ou des psychologues pour leurs enfants.
Infoparent29 : Certaines propositions de lois envisagent d’imposer une procédure de médiation en cas de séparation. Que pensez-vous d’une telle éventualité ?
La MCF : Elle existe déjà aujourd’hui : les médiations ordonnées par le juge. Mais pour établir ce type d’ordonnance, le juge doit obtenir l’accord des parties. C’est à dire que les parents doivent accepter de faire la médiation.
Mais pourquoi l’acceptent-t-ils ? Pour ne pas se disqualifier par rapport à l’autre ? Pour faire plaisir au juge ? Sont-ils vraiment convaincus de l’utilité d’une telle démarche ? Ce que nous constatons, dans notre service, c’est que ce type de médiation est souvent plus complexe, car le conflit est enkysté et les personnes ne veulent ou ne peuvent pas bouger de la place dans laquelle elles se sont mises. Certaines ne prennent pas contact avec les médiateurs, malgré un courrier que nous leur avons adressé.
Pour autant, certaines médiations ont lieu et s’achèvent avec un projet d’entente.
Est-ce que le fait que ce soit une loi pour tous, changera le positionnement de certains couples ? Et s’ils ne viennent pas ? Qu’a prévu la loi ? Faudra-t-il que les services de médiation familiale en informent le juge ? C’est une démarche qui est faite dans le cas des médiations ordonnées, mais si cela doit se généraliser, l’impartialité et la liberté du médiateur, me semblent mises en cause. Ce qui semblerait plus intéressant c’est qu’une permanence au tribunal, se fasse systématiquement au moment des audiences de non conciliation. Il en existe déjà, mais faudrait-il en amplifier le nombre ? Les médiateurs recevraient les couples pour un entretien d’information qui pourrait déboucher sur une prise de rendez-vous pour continuer vers un processus.
IP29 : La médiation familiale est parfois confondue avec la thérapie de couple, le conseil conjugal ou les entretiens familiaux. Quelle sont les différences entre ces différentes démarches ?
La MCF : Le conseiller conjugal accompagne les partenaires du couple en crise, dans une réflexion et une concertation sur leur couple, son histoire, son actualité et son avenir. Il leur apporte son soutien, notamment pour améliorer leur vie relationnelle, affective ou sexuelle. Il peut également être amené à aider le couple à clarifier ses interrogations sur la poursuite ou la rupture de la vie commune. Par un regard extérieur neutre et professionnel, le conseiller conjugal vise à rétablir un dialogue et améliorer la compréhension de l’autre et chercher un chemin constructif.
La médiation familiale est un processus de dénouement des relations conflictuelles, en particulier au sein des couples et des familles. Elle s’adresse en particulier aux couples en crise qui ont pris une décision de séparation temporaire ou définitive, ou de divorce. Le médiateur familial est un professionnel de la relation et du conflit, qui accompagne les partenaires dans le maintien d’un dialogue et dans la recherche de solutions durables et satisfaisantes à la rupture de leur couple. Il guide les parties dans l’expression juridique de leurs ententes, sous forme de conventions reconnues par la loi et qui, le cas échéant, peuvent être immédiatement homologuées par le juge compétent.
La médiation familiale est aussi adaptée pour les conflits intergénérationnels : grands-parents qui ne voient plus leurs petits-enfants, fratrie en conflit par rapport à des décisions à prendre pour leurs parents âgés, jeunes adultes en conflit avec leurs parents,...
La thérapie de couple est faite par un thérapeute. Le couple est une entité qui a ses règles, ses codes ses habitudes et il arrive que les deux partenaires ne s’y reconnaissent plus. Le thérapeute donne à chacun les moyens d’exprimer ses insatisfactions par rapport à la relation et non par rapport à l’autre. Ce changement de perspective permet d’entrer dans un processus de collaboration conjointe, qui ne vise pas à changer l’autre, car c’est impossible.
On sort du règlement de compte destructeur pour devenir constructif.
Les entretiens familiaux, réalisés par des intervenants formés à l’analyse systémique sont dans le registre de la thérapeutique ce qui n’est pas le cas de la médiation. Ils sont proposés aux familles qui traversent une crise, des conflits pas nécessairement en lien avec une séparation de couple. La demande de la famille s’exprime souvent suite aux difficultés rencontrées par l’un de ses membres :
– un enfant qui présente un symptôme tel que déscolarisation, troubles alimentaires, agressivité, usage de toxique,
– un adulte désigné comme étant responsable des difficultés vécues.
Ces problèmes peuvent avoir des conséquences qui se répercutent sur l’ensemble de la cellule familiale.
Les familles sont des « systèmes » dotés de compétences et capables de changement. C’est pour cela que les intervenants réunissent l’ensemble des membres de la famille afin que les difficultés soient parlées et que des solutions soient construites par tous.
Finalement c’est la personne pour laquelle la famille est venue, qui permet à tous de retrouver une harmonie relationnelle. Elle n’est en aucun cas la « responsable ». C’est un ensemble d’interactions, qui est à l’origine de cette crise. Comme le dit Guy AUSLOOS « Une famille ne peut poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre ».
IP29 : Le but de la médiation est de pouvoir définir ensemble des objectifs à travailler, des accords à rechercher mais c’est sûrement loin d’être évident quand on ne communique plus. Quels outils mettez-vous en place pour aider ces parents à re-communiquer ?
La MCF : En médiation familiale, lorsque le couple accepte de s’engager dans le processus, chaque personne signe un « contrat de médiation » qui définit bien le sens et le cadre de ce travail et ce qui revient à chacun d’entreprendre afin qu’un apaisement des conflits et des tensions soient reconnus par le couple en séparation.
Il arrive fréquemment que l’un d’eux ait du mal à s’exprimer car c’est sa nature ou parce que la colère, la désillusion sont tellement fortes, que la personne « en perd sa voix ».
Durant les entretiens nous faisons attention à la posture physique, qui nous donne des indications sur l’état intérieur des personnes. Comme nous avons clairement dit que chacun s’exprimerait sur un temps à peu près équivalent, nous pouvons nous appuyer sur cette règle. Nous sollicitons directement la personne pour laquelle c’est le plus difficile, en reconnaissant sa façon d’être. _ Nous reformulons également les paroles de l’un, afin que l’autre puisse répondre en lui demandant s’il est du même avis. Le médiateur est aussi appelé « un passeur de paroles » en attendant que les parents puissent se parler directement. Il est également possible d’utiliser l’humour pour désamorcer des tensions ou alors les métaphores, qui parlent d’eux sans que ce soit trop personnel.
S’ils s’accusent de reproches ou se coupent la parole ou parlent très fort, on peut leur dire qu’ils sont experts pour ce genre de communication et qu’ils n’ont pas besoin de nous pour cela. Souvent ils arrêtent. Les reproches traduisent souvent chez celui qui l’exprime des besoins non satisfaits. Le médiateur aide à la reformulation de ces besoins sous une forme acceptable par l’autre. On évite ainsi la montée en escalade. Il semble que ce qui importe beaucoup, c’est l’empathie que les médiatrices peuvent avoir envers chacun d’eux. On les reconnaît individuellement dans ce qu’ils sont, dans ce temps de la médiation ; avec leurs différences, leurs difficultés et leurs souffrances.
Le médiateur n’est pas là pour dire qui a tort ou raison, mais pour que chacun accepte d’avancer vers une histoire différente, tout en restant dans la co-parentalité.
IP 29 : Existe-t-il des obstacles à la médiation familiale ? Dans ce cas, quels conseils donnez-vous aux usagers qui vous sollicitent ?
La MCF : La médiation familiale ne peut répondre à toutes les demandes. Dans certaines situations, elle n’est pas possible, voire préjudiciable pour certains membres de la famille. Le médiateur peut refuser d’intervenir ou arrêter la médiation dans certains cas :
• lorsque les violences conjugales sont installées de longue date et se traduisent par une relation d’emprise où l’un des participants peut avoir peur de s’exprimer. Il faut faire la différence avec des violences, qui auraient pu se produire lors de la décision de séparation ou de divorce. Ces violences peuvent être parlées en médiation. Elles se produisent lorsque l’auteur, n’est plus en capacité de verbaliser, sa souffrance ou ses besoins.
• en cas de maltraitance ou d’inceste sur les enfants lorsqu’il y a lieu de signaler la situation.
• dans des cas de pathologie mentale grave, toxicologie... Dans tous les cas où une personne sur les deux n’est pas en état de penser sur un mode dit "normal" et qu’elle n’a pas accès à la capacité d’élaborer, d’organiser et anticiper ses idées. Il y a également les personnalités perverses, manipulatrices, influentes par l’éloquence. La médiation est un lieu où la ruse peut s’installer à l’insu du médiateur.
• Lorsqu’un des conjoints a mis les enfants sous son « emprise », la médiation est impossible, car toute tentative de discussion est vécue comme une agression. Il utilise les enfants à son profit, pour dénigrer l’autre conjoint. Il lui impute tous les torts de la séparation et se « victimise » car il ne se reconnaît en rien responsable. Il utilise le cadre pour attaquer l’autre. Il ne peut entendre sa parole. S’il ne reconnaît pas la loi, comment peut-il donner crédit à la médiation ? Dans ces conditions il est préférable de ne pas commencer une médiation, car cela donnerait l’illusion à l’autre conjoint, qu’une telle procédure est possible. Il n’y a que le recours à la justice, qui peut protéger.
• Lorsqu’une personne ne peut ou ne veut pas faire le deuil de son couple, cela provoque un blocage et il n’y a pas de possibilités d’imaginer la suite. La personne est dans le déni. Elle ne peut arriver à l’idée qu’accepter la perte, c’est aussi s’autoriser à vivre.
• Lorsque le conflit perdure dans les entretiens de médiation,(crier, s’énerver, agresser, se replier) ou si les accords pris sont systématiquement remis en cause, lorsque l’une des parties maintient la culpabilité envers l’autre en lui demandant des comptes, tactique dite de l’ajournement qui vise à remettre éternellement à demain une prise de décision. il faut se poser la question de l’utilité de poursuivre. En effet le cadre de la médiation, peut également être utilisé, pour continuer à voir l’autre conjoint, même si c’est à travers des conflits.
• Un autre stratagème à risques est celui qui laisse sans doute le plus de traces affectives : la disqualification. C’est à dire : toute transgression délibérée du principe d’intégrité et de légitimité des personnes se confrontant. Disqualifier consiste donc pour l’essentiel à dépasser les interdits admis par l’éthique, le système de valeurs, le cadre juridique. On trouve les attaques personnelles, la calomnie, les procès d’intention, la mauvaise foi, l’intimidation ou le chantage, la dérision.... Lorsque le médiateur décode des pratiques trop agressives, il peut mettre fin à la médiation.
• Il existe également des couples qui restent dans l’affrontement. Ils jouent essentiellement en contre ; ils sont sur la défensive et la médiation ressemble à une guerre des tranchées, à un simulacre de médiation.
• Une autre tactique est le passage en force, qui se traduit par une domination de l’une des parties, une mainmise sur l’échange. Cela peut-être une posture prise par une femme, lorsqu’il s’agit de s’approprier l’enfant ou la maison. Celui qui veut passer en force ne voit plus son interlocuteur, ne l’entend pas.
Il arrive que dans l’intérêt de l’une ou l’autre des personnes, le médiateur doive arrêter les entretiens.
Dans nos entretiens de médiation familiale, nous pouvons rencontrer des personnes ayant un trait de personnalité, des divers points cités plus haut. _ Cela n’est pas incompatible avec un processus de médiation, dans la mesure où nous repérons ces fonctionnements.
Pour autant, lorsque les personnes ont des difficultés de cet ordre, le médiateur prend le temps de les écouter et de leur proposer une réorientation vers un lieu adéquat (thérapie, thérapie familiale, point écoute...). Par exemple, dans le cas où le questionnement se centre sur le couple, il leur est proposé une réorientation en conseil conjugal ou vers une thérapie de couple.
IP 29 : Qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur l’évaluation de la fin d’une médiation ? Quelles sont les fins possibles d’une procédure de médiation ?
La MCF : L’idéal pour la fin d’une médiation c’est lorsque le couple a pu faire un projet d’entente écrit, sur les divers points qui faisaient litige au départ. Bien souvent cela concerne la résidence des enfants, la prestation à l’éducation des enfants ou le partage des biens mobiliers. Il existe aussi des situations où des points d’accord ont été mis par écrit mais où quelques désaccords persistent. Les personnes demandent alors au juge de trancher sur ces points uniquement. L’issue de la médiation est alors positive dans la mesure où le projet d’entente même partiel, existe car il y a eu dialogue et recherche d’accords. Mais même si un projet d’entente n’a pu se faire, et qu’il y a un apaisement dans les relations, que les parents peuvent se parler et prendre des décisions communes pour leurs enfants, leur investissement dans les séances est tout à fait positif.
L’important c’est qu’ils arrivent à s’approprier l’état d’esprit de la médiation qui leur permette de communiquer différemment, afin de pouvoir s’en servir lorsqu’ils auront à faire des projets, affronter de nouvelles difficultés et prendre des décisions dans leur coparentalité.
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